Scandale : le gouvernement Macron a donné plus de 2,5 milliards d’euros en 4 ans à des cabinets de conseil dont 1 milliard en 2021 !
Le rapport sénatoriale de ce jour est sans appel : le gouvernement Macron a dépensé plus de 2,5 milliards d’euros dans des rapports établis par des cabinets de conseil (McKinsey, Accenture, Capgemini, etc.) avec une augmentation de ces dépenses multipliée par 2,36 en quatre ans !
La crise sanitaire a mis en lumière l’intervention de nombreux consultants dans la conduite des politiques publiques menées par le gouvernement Macron.
Ce n’était en réalité que la face émergée de l’iceberg : au quotidien, des cabinets privés conseillent l’État sur sa stratégie, son organisation et ses infrastructures informatiques. Peu connus du grand public, ils s’appellent Accenture, Bain, Boston Consulting Group (BCG), Capgemini, Eurogroup, EY, McKinsey, PwC, Roland Berger ou encore Wavestone et emploient environ 40 000 consultants en France.
Les travaux de la commission d’enquête révèlent un phénomène tentaculaire. Les cabinets de conseil interviennent au cœur des politiques publiques, ce qui soulève deux principales questions :
– notre vision de l’État et de sa souveraineté face à des cabinets privés et la bonne utilisation des deniers publics.
Un recours massif et croissant aux cabinets de conseil, multiplié par 2,36 en quatre ans !
En 2021, les dépenses de conseil de l’État au sens large ont dépassé le milliard d’euros, dont 893,9 millions pour les ministères et 171,9 millions pour un échantillon de 44 opérateurs.
Il s’agit d’une estimation minimale car les dépenses des opérateurs sont en réalité plus élevées : si la commission d’enquête a interrogé ceux dont le budget était le plus important (Pôle emploi, Caisse des dépôts et consignations, etc.), l’échantillon ne représente que 10 % du total des opérateurs.
Au sein de cette enveloppe, les dépenses de conseil les plus stratégiques (445,6 millions d’euros) augmentent significativement : le conseil en stratégie et organisation a été multiplié par 3,7 depuis 2018 ; le conseil en stratégie des systèmes d’information par 5,8.
Près de 85 % des dépenses sont concentrées dans 5 ministères : Intérieur, Économie et Finances, Armées, Transition écologique, ministères sociaux.
En pratique, le recours aux cabinets de conseil est facilité par des accords-cadres, dont celui de la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) et de la centrale d’achat UGAP. Ces contrats mettent à la disposition des ministères un vivier de cabinets de conseil, dans lequel ils peuvent aisément piocher.
Avec le gouvernement Macron, il y a un recours systématique aux cabinets de conseil
Le recours aux consultants constitue aujourd’hui un réflexe : ils sont sollicités pour leur expertise technique – même lorsque l’État dispose déjà de compétences en interne – et leur capacité à apporter un regard extérieur à l’administration.
La force de frappe des cabinets de conseil s’adapte à l’accélération du temps politique : des consultants peuvent être mobilisés très rapidement pour répondre aux priorités d’un ministre ou d’un directeur d’administration centrale.
Un cabinet international peut, en deux semaines, « être en mesure de produire un rapport de trois cent pages en allant puiser auprès de ses succursales aux États-Unis, en Suisse ou ailleurs
Julie Gervais
En pratique, les consultants sont intervenus sur la plupart des grandes réformes du quinquennat, renforçant ainsi leur place dans la décision publique. En 2019, un cabinet d’avocats – Dentons – a même participé à la rédaction de l’étude d’impact du projet de loi d’orientation des mobilités !
Les consultants sont également appelés à la rescousse lorsque le Gouvernement est mis en difficulté sur un sujet. Après le fiasco de la propagande électorale lors des élections locales de 2021, le cabinet Sémaphores est ainsi chargé d’accompagner les préfectures dans l’organisation de la mise sous pli et de la distribution des professions de foi pour les élections présidentielles et législatives de 2022, pour un montant de 289 785 euros.
Une relation de dépendance peut s’installer entre l’administration et ses consultants, en particulier dans le domaine informatique. À titre d’exemple, l’État recourt à des prestations de conseil de Sopra Steria et EGIS pour gérer les radars routiers, pour un montant prévisionnel de 82 millions d’euros entre 2017 et 2026. De même, il a dû faire appel à McKinsey pour mettre en œuvre la partie informatique de la réforme des aides personnalisées au logement (APL).
COVID-19 : des pans entiers sous-traités à des cabinets de conseil
Au début de la crise sanitaire, le jeudi 5 mars 2020, un agent du ministère des solidarités et de la santé écrit à ses collègues : « j’ai vu une boîte de logistique hier habituée à travailler dans la pharma […]. Ils peuvent être là lundi pour monter le truc. […]. J’ai demandé l’ordre de grandeur, 50 000 euros pour nous mettre en place le système et suivre le déploiement pendant 15 jours. » La « boîte », c’est le cabinet de conseil Citwell ; le « truc », c’est un système de pilotage pour l’approvisionnement de la France en masques.
Le recours aux cabinets de conseil débute dans ce climat d’impréparation de l’État. Il va ensuite se prolonger tout au long de la crise sanitaire : au moins 68 commandes sont passées, pour un montant total de 41,05 millions d’euros. D’après les données recueillies sur un échantillon de 5 cabinets, l’intervention d’un consultant est en moyenne facturée 2 168,38 euros par jour.
Des pans entiers de la gestion de crise sont sous-traités aux cabinets de conseil (McKinsey, Citwell, Accenture, Cap Gemini, Roland Berger, JLL, CGI France, EY, BCG, Deloitte, etc.)
Entre mars et octobre 2020, Citwell organise par exemple l’approvisionnement en masques, leur stockage puis leur distribution, tout en réalisant des analyses complémentaires pour le ministère comme une « demande d’information pour interview à BFM ». Sa mission sera progressivement étendue aux autres équipements de protection individuelle (blouses, gants, etc.), aux médicaments de réanimation et aux vaccins.
McKinsey s’occupe de la campagne vaccinale entre novembre 2020 et le 4 février 2022, avec une interruption de trois mois à l’automne 2021. Il remplit quatre missions principales, attestées par les procès-verbaux de réception de ses prestations, que la commission d’enquête a pu consulter.
Campagne vaccinale : les quatre principales missions de McKinsey
Missions | Exemples d’actions associées |
Organisation logistique | Étude des scénarios logistiques pour la distribution des vaccins Suivi des livraisons, des stocks, des injections et des rendez-vous |
Indicateurs et outils de suivi | Production quotidienne d’indicateurs de pilotage de la campagne vaccinale Suivi d’un registre d’environ 250 actions et décisions clés |
Analyses sectorielles sollicitées par le ministère | Plan d’actions pour la campagne de rappel de la 3ème dose Point de situation sur les territoires ultramarins à l’été 2021 |
Gestion de projet | Préparation de réunions Appui à la restructuration de la task force « vaccins » |
Des méthodes utilisées par les consultants des cabinets de conseil mal comprises par les fonctionnaires
Les consultants des cabinets de conseil doivent « transformer » l’administration en proposant des méthodes « disruptives », inspirées du secteur privé et répondant à un vocabulaire propre.
Ces méthodes peuvent être mal acceptées par les agents publics, comme le montre l’intervention de Wavestone à l’Ofpra pour réduire les délais de traitement des demandes d’asile (prestation réalisée en 2021-2022, pour un montant de 485 818 euros).
Les agents de l’Ofpra déclarent ainsi : « j’ai l’impression que nous sommes régulièrement infantilisés », « le vocabulaire de la start-up nation me semble peu approprié à notre mission de service public ». Ils regrettent aussi la multiplication du nombre d’ateliers organisés par les consultants : « total heures par mois de réunion : 10 heures – sur le papier évidemment, car ça ne finit jamais à l’heure prévue ».
Ces dernières années, les cabinets de conseil ont transposé leurs méthodes aux consultations et aux ateliers citoyens. Une quinzaine d’exemples ont été identifiés entre 2018 et 2021, pour un montant total de près de 10 millions d’euros : concertation sur l’avenir de l’Europe (Roland Berger, 1,7 million d’euros), convention citoyenne pour le climat (Eurogroup, 1,9 million d’euros), etc.
Des rapports de qualité parfois douteuse
Une journée de consultant coûte en moyenne 1 528 euros à l’État.
Si l’expertise des consultants n’est pas remise en cause, leurs livrables ne donnent pas toujours satisfaction. Certaines évaluations de la DITP font état d’un « manque de culture juridique et plus largement du secteur public », « d’une absence de rigueur sur le fond comme sur la forme », même si les consultants étaient « des personnes de bonne compagnie ».
Des risques déontologiques
L’intervention des cabinets de conseil peut […] légitimement susciter des inquiétudes en matière de déontologie
Didier Migaud, Pdt de la
HATVP
En matière de déontologie, il y a de grands risques à confier des études à des cabinets de conseil :
- Les conflits d’intérêts : les cabinets de conseil conseillent simultanément plusieurs clients ;
- La porosité : lorsque les cabinets de conseil recrutent d’anciens responsables publics (« pantouflage »). À titre d’exemple, parmi les 22 profils proposés par le BCG et EY dans leur réponse à l’accord-cadre de la DITP de 2018, 6 sont d’anciens responsables publics de haut niveau (dont un ancien conseiller économique à l’Élysée et un ancien conseiller du secrétaire d’État à l’industrie) ;
- Le pied dans la porte : lorsque les consultants interviennent gratuitement (pro bono) pour l’administration. En pratique, le pro bono concerne surtout le secteur économique, avec deux principaux bénéficiaires : l’Élysée (sommets Tech for good et Choose France, initiative Scale-up Europe) et Bercy. Dénuées de tout régime juridique, ces prestations peuvent être « récupérées » pour les besoins de la stratégie commerciale des cabinets de conseil, dans l’optique d’améliorer leur réputation. Les cabinets multiplient les partenariats avec les grandes écoles. Ils disposent par exemple de 15 accords avec l’École polytechnique, pour un montant annuel de près de 2 millions d’euros.
Une influence énorme sur les prises de décision du gouvernement
L’intervention des consultants doit rester discrète : lors de la crise sanitaire, McKinsey indique qu’il restera « behind the scene », en accord avec le ministère. Le cabinet n’utilise pas son propre logo pour rédiger ses livrables mais celui de l’administration.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, l’a d’ailleurs confirmé devant la commission d’enquête : « si vous aviez voulu [les] documents estampillés McKinsey présents dans le dossier, vous auriez trouvé une feuille blanche ».
La pratique est en réalité courante dans le secteur du conseil : les consultants des cabinets de conseil peuvent travailler en « équipe intégrée » chez leurs clients et sont alors quasiment assimilés à des agents publics. Pendant la crise sanitaire, ils ont par exemple rédigé des notes administratives sous le sceau de l’administration. Certains disposaient même d’une adresse électronique du ministère.
Cette méthode de travail renforce l’opacité des prestations de conseil car elle ne permet pas de distinguer l’apport des consultants, d’une part, et celui de l’administration, d’autre part.
Les syndicats se sont par exemple émus du guide sur le télétravail dans la fonction publique, rédigé par Alixio, sous-traitant de McKinsey (235 620 euros) : « pourquoi ne nous a-t-il pas été précisé qu’il avait été élaboré avec le concours d’un cabinet de consultants ? Le coût nous aurait peut-être choqué, certes, mais nous aurions pu en discuter. […] Tout le monde était persuadé qu’il avait été fait par [l’administration] ».
Les cabinets de conseil proposent des scénarios orientés
Au cours des auditions sénatoriales, Gouvernement, administration et cabinets de conseil l’ont affirmé avec vigueur : l’autorité politique décide en responsabilité ; les cabinets de conseil n’ont aucune influence sur la décision.
Les cabinets de conseil déploient néanmoins une stratégie d’influence dans le débat public, en multipliant les think tanks et les publications. À titre d’exemple, EY proposait en janvier 2022 « d’imaginer un nouveau plan de transformation ambitieux pour le prochain quinquennat » et évoquait la possibilité de supprimer 150 000 postes de fonctionnaires grâce au numérique.
En théorie, les cabinets de conseil doivent proposer plusieurs scénarios à leurs clients et préciser, de manière factuelle, les avantages et les inconvénients de chacun d’entre eux. Ils ont toutefois pour habitude de « prioriser » les scénarios proposés – avec l’accord, voire sur demande, de l’administration –, ce qui renforce leur poids dans la décision publique.
La marge de manœuvre des responsables publics ne peut qu’être réduite face à cette « priorisation » des scénarios par les cabinets de conseil, qui disposent ainsi d’une réelle influence sur la prise de décision.
Des arbitrages orientés : l’exemple de la gestion du bonus / malus sur les cotisations d’assurance chômage
McKinsey est missionné en 2019, avec l’appui de la DITP, pour une prestation de 327 060 euros consistant à examiner le mode de gestion du nouveau bonus / malus sur les cotisations d’assurance chômage.
Le cabinet doit constituer un « dossier d’arbitrage » sur la répartition des tâches entre Pôle emploi, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) et la mutualité sociale agricole (MSA).
Si McKinsey présente bien 4 scénarios dans le livrable du 8 juillet 2019, sa conclusion est sans appel : « le choix de l’ACOSS / [MSA] en tant qu’opérateurs principaux avec support de Pôle emploi […] semble être la meilleure solution ». Les trois autres solutions ne correspondent pas au « choix recommandé » !
Un scandale de plus pour le gouvernement Macron qui a étonnamment abusé des conseils de cabinets de consultants et dépensé de manière douteuse des milliards payés par les contribuables français !
Le Rapport au vitriol du Sénat à propos des cabinets de conseils
Mots clés : Accenture, Capgemini, CGI, Deloitte, Emmanuel Macron, Macronie, McKinsey, Roland Berger